Collectionneur du mois d’avril 2022

Collectionneur du mois

Bernard Landry

Entomologiste, chargé de recherche et de collections, Muséum d’histoire naturelle de Genève

Raymond Hutchinson

Entrevue avec Bernard Landry, entomologiste, chargé de recherche et de collections, Muséum d’histoire naturelle de Genève

Origine et cheminement

Bernard Landry a grandi dans la région de Sainte-Thérèse, en banlieue nord de Montréal. Il a développé son goût pour l’histoire naturelle et les collections lorsqu’il a fréquenté, encore enfant, le camp de vacances des Jeunes naturalistes à Cap-à-l’Orignal, situé maintenant dans le Parc national du Bic. Collectionneur dans l’âme, son engouement pour l’entomologie s’est poursuivi lorsqu’il est devenu le temps d’un été l’assistant de Pierre-Paul Harper († 2019), expert en taxonomie des insectes aquatiques et conservateur de la collection Ouellet-Robert, basée à l’Université de Montréal. 

Des recherches qui font voyager

Il a su développer sa passion au fil de ses études. M. Landry a fait sa maîtrise au collège Macdonald (Université McGill) en traitant la faunistique et la taxonomie des ptérophoridés, un groupe de papillons encore peu étudié. Il rencontre alors un conférencier invité, Stewart B. Peck, professeur attaché au département de biologie de l’université Carleton, qui l’invite à poursuivre un doctorat sur les lépidoptères. Sous la supervision de son co-directeur de thèse, J. Donald Lafontaine, il étudie la phylogénie d’une sous-famille de pyrales, les Crambinés, pour l’Amérique du Nord, mais effectue en parallèle un séjour de quelques mois aux îles Galápagos où il effectue un inventaire des lépidoptères avec l’équipe de S. Peck. 

Il se joint ensuite à l’équipe d’entomologistes-experts de la Ferme expérimentale centrale d’Agriculture Canada, située à Ottawa, où se situe la plus importante collection d’insectes au Canada. Il travaille alors sous la supervision de Jean-François Landry sur les lépidoptères comme technicien jusqu’en 1996. 

En 1997, il entreprend un post-doctorat à l’Université de Californie à Berkeley avec Felix Sperling (actuellement professeur à l’Université de l’Alberta et conservateur au musée d’entomologie E. H. Strickland) et Jerry Powell, spécialiste en systématique des microlépidoptères. En vue de ses projets de révisions taxonomiques des papillons des Galápagos, il se rend au British Museum de Londres en 2000 pour étudier les spécimens nécessaires au parachèvement de ses travaux. Ayant eu connaissance d’un poste au Muséum d’histoire naturelle de Genève, il profite de ce séjour à Londres pour aller à Genève passer l’entrevue préalable qui lui permet d’obtenir le poste de Chargé de recherche et de collections qu’il occupe depuis 2001.

La vie au Musée

C’est donc au Muséum d’histoire naturelle de Genève que Bernard Landry partage son expertise. En tant que responsable des collections d’hyménoptères et de lépidoptères, sauf les Papilionoïdes, il fait partie d’une équipe de trois systématiciens entomologistes qui sont impliqués dans la mise à niveau des collections, dont certaines datent de plus de 200 ans. Vu la condition précaire des vieilles boîtes et l’aide technique parfois insuffisante, le reconditionnement des collections prend beaucoup de temps. Toutefois, certaines des collections achetées ou léguées sont inestimables, à l’exemple de celle d’Auguste Forel, premier véritable myrmécologue. Grâce à celui-ci, le musée abrite la plus importante collection de fourmis au monde.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Auguste_Forel

La représentation d’Auguste Forel et de ses fourmis sur l’ancien billet de mille francs est un hommage à ce brillant homme de Science, entomologiste passionné, mais également directeur et professeur de psychiatrie à l’Université de Zürich.

Au fil du temps, le Muséum a pu compter sur plusieurs autres dons importants. Un entomologiste amateur, Jacques Plante (sans lien de parenté avec le célèbre gardien de buts, même si celui-ci est enterré en Suisse !), parolier de plusieurs chansons à succès du siècle dernier comme «  La Bohème » écrite en 1965 et inimitablement interprétée par Charles Aznavour, a vendu au musée l’entièreté de sa collection de papillons, laquelle comptait près de 160 000 spécimens de lépidoptères, dont plus de 62 000 de la famille des Noctuidae au sens strict. Un autre amateur de la région d’Annecy a donné sa collection d’environ 30 000 spécimens de papillons en 2019. La tâche principale de Bernard à cet égard est d’intégrer ces collections en une seule selon la classification la plus à jour et de bien documenter les types primaires pour en faciliter l’utilisation et la numérisation. 

Au fil du temps, le Muséum a pu compter sur plusieurs autres dons importants. Un entomologiste amateur, Jacques Plante (sans lien de parenté avec le célèbre gardien de buts, même si celui-ci est enterré en Suisse !), parolier de plusieurs chansons à succès du siècle dernier comme «  La Bohème » écrite en 1965 et inimitablement interprétée par Charles Aznavour, a vendu au musée l’entièreté de sa collection de papillons, laquelle comptait près de 160 000 spécimens de lépidoptères, dont plus de 62 000 de la famille des Noctuidae au sens strict. Un autre amateur de la région d’Annecy a donné sa collection d’environ 30 000 spécimens de papillons en 2019. La tâche principale de Bernard à cet égard est d’intégrer ces collections en une seule selon la classification la plus à jour et de bien documenter les types primaires pour en faciliter l’utilisation et la numérisation. 

En second, Bernard aide aussi au renouvellement des galeries du musée qui portent tant sur la faune régionale qu’exotique. Il travaille alors à la conceptualisation des vitrines qui donnent des aperçus des divers groupes selon une approche thématique dans la galerie des invertébrés, alors que dans la galerie de la faune régionale, les groupes sont traités selon la classification moderne.

L’une des vitrines conceptualisée par Bernard, où la taille des objets est proportionnelle à l’importance de chaque groupe en termes du nombre des espèces qu’il contient.

Panneau explicatif dans le hall d’entrée, pour expliquer le projet d’agrandissement des espaces de collections du Muséum.

Quelques spécimens de microlépidoptères dans leur boîte destinée à leur étalage.

Bien que le musée abrite la plus importante collection de lépidoptères en Suisse, soit environ 500 000 spécimens dont 493 types primaires, elle est surpassée largement par d’autres institutions d’Europe et d’ailleurs. Le muséum possède néanmoins l’une des plus imposantes collections de micro-coléoptères du monde; elle a été constituée par non moins de trois générations de conservateurs. Les collections de mantes religieuses, de guêpes, de blattes et de fourmis sont également importantes tandis que celles des diptères, encore modestes, poursuivent leur développement.

Pour ranger tout cela, Bernard bénéficie parfois de l’aide de stagiaires pour des périodes de plusieurs mois, grâce à des programmes qui offrent une alternative au service militaire ou civil, dont par exemple plusieurs stagiaires de l’école d’architecture et du paysage.

Boîte modulaire de la collection du Muséum

Bien que le musée abrite la plus importante collection de lépidoptères en Suisse, soit environ 500 000 spécimens dont 493 types primaires, elle est surpassée largement par d’autres institutions d’Europe et d’ailleurs. Le muséum possède néanmoins l’une des plus imposantes collections de micro-coléoptères du monde; elle a été constituée par non moins de trois générations de conservateurs. Les collections de mantes religieuses, de guêpes, de blattes et de fourmis sont également importantes tandis que celles des diptères, encore modestes, poursuivent leur développement.

Pour ranger tout cela, Bernard bénéficie parfois de l’aide de stagiaires pour des périodes de plusieurs mois, grâce à des programmes qui offrent une alternative au service militaire ou civil, dont par exemple plusieurs stagiaires de l’école d’architecture et du paysage.

 

Bernard à sa console de travail

 

À l’occasion, Bernard participe à des congrès, comme ceux de la Société entomologique suisse (SEG, fondée en 1858). Il en résulte parfois des réalisations concrètes comme avec la Société suisse de systématique et la mise sur pied d’un réseau fédéral d’investissement dans les collections d’histoires naturelles, le « SwissCollNet » qui lui a permis de financer un projet de reconditionnement et de mise en base de données d’une partie importante de la collection de fourmis du Muséum.

Bernard croit qu’il importe de continuer à récolter en ciblant davantage les groupes les moins connus. Selon lui, tous les groupes sont actuellement menacés et les grandes espèces sont encore plus à risque. Les îles sont les plus fragiles en raison de la forte présence d’espèces endémiques qui n’ont pas évolué en présence des nombreux parasites et prédateurs qu’on trouve sur les continents. Par ailleurs, une urbanisation mal planifiée associée au déclin de la proportion d’espaces verts naturels peut aussi affecter rapidement un groupe particulier d’insectes. C’est le cas de Genève, où les saturniidés ont entièrement disparus depuis quelques décennies.

Pour un «Muséum québécois de la Nature»

Bernard Landry est d’avis que la création d’instituts nationaux, tel qu’un Muséum québécois de la Nature, est utile pour soutenir la recherche et aider à mieux préserver la biodiversité et les collections d’histoire naturelle, il va sans dire.

« La présence d’un musée national doté d’une équipe de recherche serait un outil utile afin de poursuivre les recherches si essentielles pour mieux connaître notre biodiversité. En concertation avec le milieu universitaire, il faut créer de nouvelles opportunités d’embauche, monter de nouvelles équipes et développer la portée pédagogique d’un musée.

Déjà, la ville de Montréal avec son Jardin botanique et son Insectarium a posé les bases d’un musée d’envergure nationale. Il faut nécessairement augmenter le financement, engager des chercheurs, accueillir des étudiants gradués et créer des ouvertures dans la majorité des disciplines. Idéalement, il y a trois pôles à mettre en place : la recherche, les collections et les expositions. Rappelons que seuls les chercheurs qualifiés sont aujourd’hui en position de gérer les collections scientifiques selon les normes internationales, même si beaucoup d’amateurs sérieux appuient la science de façon magistrale. De nombreuses découvertes scientifiques dérivent de toutes ces recherches, lesquelles évoluent normalement à petits pas et selon des protocoles de recherche rigoureux.

La recherche est l’une des pierres fondamentales de notre société. Si nous avons fait de nombreuses erreurs dans le passé, par exemple en introduisant des espèces invasives comme aux Galápagos avec la cochenille australienne, qui a fait des ravages sur la flore endémique, c’est grâce à des chercheurs qu’une lutte biologique sur mesure et couronnée de succès a pu être initiée en 2002 avec l’introduction d’une coccinelle. De telles interventions exigent souvent des années de recherche. »

L’avenir d’un entomologiste

À quoi ressemble l’avenir pour Bernard ? Chose certaine, il aime toujours autant découvrir et récolter. Que ce soit dans les milieux néotropicaux qu’il affectionne ou dans les cantons suisses, il reste tant à découvrir, surtout si l’on considère les microlépidoptères. Il entrevoit poursuivre ses recherches taxonomiques et parfois moléculaires avant d’entamer la rédaction d’un livre sur les papillons des Galápagos. Il est aussi associé comme co-éditeur de deux revues scientifiques dont la Revue suisse de zoologie. Il semble donc aussi confortable dans ses bottes de marche que devant la machine à écrire.

Même si Bernard n’exprime pas le besoin fondamental de collectionner, l’aspect de mystère et de découverte l’anime encore lorsqu’il participe à des inventaires, comme c’est le cas pour la Liste des insectes du canton de Genève. D’après lui, il reste au moins 500 nouvelles espèces de microlépidoptères à découvrir dans ce canton. Il devrait y en avoir assez pour le tenir occupé, au moins jusqu’à la retraite!

André Lapointe, 4 avril 2022